Traduction de l'anglais au français - Rédaction, réécriture et révision en français
2012-01-15 - De deux choses l’une : « clause » ou « disposition » |
En juin 2004, le chef du Parti libéral du Canada, Paul Martin, promettait qu’il n’utiliserait jamais la « clause nonobstant » ou la « clause dérogatoire » pour limiter ou retirer des droits édictés par la Charte canadienne des droits et libertés. Une campagne électorale fédérale avait alors lieu, et il était beaucoup question du droit à l’avortement et des droits des homosexuels.
En janvier 2006, au cours de la campagne électorale générale suivante, Paul Martin remplissait d’un grand étonnement le Canada tout entier en promettant, en plein débat des chefs en anglais, de retirer au gouvernement fédéral le droit de recourir à la « notwithstanding clause ». Au Québec, bon nombre de journalistes ont immédiatement traduit cette expression par « clause dérogatoire » (ici et ici, notamment).
Tant en 2004 qu’en 2006, le chef libéral faisait référence à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il s’agit d’une disposition législative qui permet la dérogation à l’article 2 (libertés fondamentales) et aux articles 7 à 15 (garanties juridiques) de la Charte. Plus récemment, dans les médias d’information, il a été question de l’abrogation de la « clause de la dernière chance » (faint hope clause), une disposition du Code criminel qui permettait aux Canadiens condamnés à l’emprisonnement à perpétuité pour meurtre ou haute trahison de demander la libération conditionnelle après avoir purgé 15 ans de leur peine. Quel est donc le lien entre ces trois exemples et le « bon usage » de la langue française? Eh bien, il y est question soit de l’utilisation ou de l’abrogation d’une disposition législative qui n’existe pas! Du moins, pas d’un point de vue terminologique… En fait, le terme clause fait partie du vocabulaire usité dans le domaine du droit, mais son emploi est fautif lorsqu’il est question d’une loi ou d’un règlement. Le mot juste, dans les exemples évoqués plus haut, est disposition. Les entrées clause nonobstant et clause dérogatoire du Grand dictionnaire terminologique (GDT), de l’OQLF, renvoient les internautes à la fiche disposition de dérogation, en plus de figurer dans la liste des termes à éviter. Voici ce que précise cette fiche :
L’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, auquel faisaient référence Paul Martin et les médias d’information québécois dans les exemples ci-dessus, est donc une disposition de dérogation. En l’espèce, il s’agit d’une disposition qui édicte les conditions pour soustraire une loi fédérale ou provinciale à l’application des articles 2 et 7 à 15 de la Charte. Et voici un exemple de disposition dérogatoire. En 1988, l’Assemblée nationale du Québec a adopté la loi 178 (Loi modifiant la Charte de la langue française), laquelle comportait un article pour soustraire la Charte de la langue française, communément appelée Loi 101, à l’application du paragraphe b) de l’article 2 et à l’application de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cet article, en l’occurrence l’article 10, était une disposition dérogatoire. La fiche disposition de dérogation de l’OQLF ajoute ce qui suit :
À l’entrée notwithstanding clause, Termium établit essentiellement les mêmes observations en ce qui concerne le terme français clause. La banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement canadien recommande en outre d’éviter les expressions disposition dérogatoire, clause dérogatoire, clause de dérogation et clause nonobstant. Traduire faint hope clause par clause de la dernière chance est donc également fautif, puisqu’il est question d’une loi, plus précisément de l’article 745.6 du Code criminel. Le GDT ne comporte aucune fiche pour faint hope clause. Et malheureusement, Termium propose clause de la dernière chance comme traduction. Faits intéressants à signaler : la fiche a été ajoutée dans la banque de données en décembre 1996, et la mention « proposition » figure sous clause de la dernière chance. Difficile de ne pas conclure que cette proposition fautive passe inaperçue depuis 15 ans (!?!?) auprès des « quarante terminologues qui ont pour principale tâche d’entrer les données les plus récentes dans la banque ». Le Code criminel relevant du gouvernement fédéral, il n’est pas étonnant que des langagiers ou des journalistes s’en remettent à Termium sans réfléchir plus avant pour traduire faint hope clause. Un tel geste de confiance pourrait expliquer la présence de clause de la dernière chance dans, par exemple, des fiches d’information du ministère de la Justice du Canada (ici et ici) ou dans un Bulletin politique de Service correctionnel Canada. Les termes disposition et clause sont également confondus par des intervenants du domaine du droit, notamment par le Barreau du Québec et par l’Association canadienne de justice pénale. À leur décharge, les juristes, qu’il s’agisse d’un avocat, d’un juge ou d’un professeur de droit, ne sont pas des terminologues. Dans les documents mentionnés ci-dessus, l’expression clause de la dernière chance figure souvent entre guillemets. Cependant, ces signes typographiques n’atténuent en rien l’impropriété, que l’on soit langagier, journaliste ou juriste; pire encore, ils contribuent à la perpétuation de l’emploi incorrect d’un mot.
Rolando Gomes
Vous souhaitez être informé(e) de la publication d’une nouvelle capsule linguistique? Eh bien, abonnez-vous! |
Aucun commentaire
Capsules linguistiques
Charte des valeurs québécoises : texte juridique, ou programme gouvernemental? |
Quelques semaines avant le dévoilement des propositions du gouvernem |
Lire... |
Matricule 728 : citer ou ne pas citer, telle est la… |
Dans son livre Le Métier de journaliste, Pierre Sormany consacre p |
Lire... |
« Académique » : un combat sans merci, mais encore faudrait-il que les lexicographes se rangent dans le même camp |
Dans le coin rouge, des sources qui font autorité au Québec |
Lire... |
« Comté » et « circonscription » : consulter un dictionnaire, oui, mais pas trop longtemps! |
L’emploi de comté au sens de circonscription électorale |
Lire... |