Traduction de l'anglais au français - Rédaction, réécriture et révision en français
2012-03-19 - « Suggérer » : un anglicisme peu répertorié… ou qui fait antichambre! |
Dans l’un de ses articles, la Banque de dépannage linguistique (BDL), de l’Office québécois de la langue française, explique que suggérer est parfois utilisé sous l’influence de l’anglais to suggest comme synonyme de verbes ou de locutions comme indiquer, sembler indiquer, porter à croire, donner à penser, conduire à penser ou laisser supposer. L’article ajoute ce qui suit :
À la fin de l’entrée suggest, dans un encadré, Le grand Robert & Collins (2008) avertit que « [w]hen it means ‘imply’ suggest is not translated by suggérer » (en gras dans l’ouvrage). Pour ce dictionnaire anglais-français, suggest au sens de imply that doit être traduit par laisser entendre que lorsqu’il est question de « facts, data, sb’s actions ». Cette mise en garde s’apparente aux explications de l’article de la BDL. Cette dernière estime que suggérer est un anglicisme sémantique lorsque ce verbe est usité au sens de porter à croire, etc. quand, par exemple, « il est question d’études, de recherches ou de statistiques menant à certaines conclusions et non à des insinuations ». Et c’est précisément, et essentiellement, dans de tels contextes que l’emploi de suggérer au sens de donner à penser, etc. se perpétue. Dans le milieu journalistique, conclusions et constats de sondages, études, recherches et statistiques vont en effet presque immanquablement de pair avec le verbe suggérer aux sens condamnés par la BDL (ici, ici et ici, par exemple). De fait, cette combinaison « mot-sens » est si solidement ancrée dans la pensée et le langage journalistiques qu’elle a accédé à un statut de quasi-automatisme. Même des publications habituellement reconnues pour un français écrit plus respectable que celui de la presse quotidienne, comme L’actualité ou Québec Science, et des traducteurs, des rédacteurs et des réviseurs dont le travail est diffusé sur le site Web de différents organismes du gouvernement fédéral (ici, ici et ici, par exemple) tombent dans le panneau. Si panneau il y a : suggérer au sens de conduire à penser n’est peut-être pas un anglicisme, une telle condamnation n’étant pas largement véhiculée. Par exemple, Termium comporte une fiche pour le mot anglais suggest. Mais cette fiche, qui date de 1996, ne propose que donner à penser comme équivalent français et ne comporte aucune mise en contexte ni observation. Et les habitués de Termium savent que cette banque de données terminologiques et linguistiques est tout sauf avare de ses fameuses OBS, notamment utilisées pour signaler des impropriétés pour un mot donné. Le Multidictionnaire de la langue française (2009, 5e édition), lui, ne fait aucune mention de cet anglicisme (potentiel?). Ce silence est particulièrement décevant dans la mesure où cet ouvrage et la BDL sont deux sources québécoises et que l’une des « caractéristiques fondamentales » du Multi est d’être « l’inventaire des difficultés prévisibles », comme l’indique la préface. Qu’en est-il du Colpron? Ce dictionnaire des anglicismes (2007) comporte bel et bien une entrée pour suggérer. Par contre, le sujet de la phrase citée en exemple est une personne, contrairement au cas traité par la présente capsule – études, recherches, statistiques dans la BDL et facts et data dans Le grand Robert & Collins – : « êtes-vous en train de nous suggérer que personne n’est intéressé » (en gras dans l’ouvrage) pour traduire « are you suggesting that ». Selon Le Colpron, les formes correctes dans un tel cas sont : insinuez-vous que, êtes-vous en train de nous dire que et vous semblez dire que. Une autre façon d’y voir plus clair est de s’enquérir du ou des sens de suggérer admis dans les dictionnaires, plutôt que de chercher des mises en garde ou des condamnations relativement à l’emploi de ce verbe. Lorsque le sujet du verbe suggérer est une chose, un seul sens est admis par le Petit Robert (2011) et le Lexis (2009). Ce sens tourne autour de l’idée de faire naître une idée, un sentiment dans l’esprit, ou de faire penser à quelque chose. Par exemple :
Ce sens accepté pour suggérer lorsque le sujet est une chose, utilisation qu’admet la BDL – en citant en exemple la phrase suivante : « Cette musique suggère une atmosphère sereine et apaisante » –, ne correspond pas à celui de indiquer, sembler indiquer, porter à croire, donner à penser, conduire à penser ou laisser supposer lorsqu’il est question de conclusions tirées de sondages, d’études, de recherches ou de statistiques. Si suggérer au sens de laisser supposer n’est pas encore largement reconnu comme un anglicisme, ce verbe est à tout le moins dans l’attente d’être plus officiellement introduit comme tel. Et il ne s’agit probablement que d’une question de temps, car, comme le dit si bien Maurice Rouleau dans l’un des billets de son blogue, les dictionnaires, grammaires et autres ouvrages de référence s’inspirent souvent les uns des autres. « Il suffit qu’un d’eux critique pour que la condamnation se retrouve reproduite dans les autres ouvrages. »
Rolando Gomes
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